Avec le Coran on assiste à un changement important dans le postulat monothéiste. Certes ses bases restent les mêmes, ne serait-ce qu’en raison de la transcendance de Dieu et de la singularité de chaque individu humain. Cependant, quelques points considérés comme essentiels dans la Bible judéo-chrétienne disparaissent ici comme s’ils avaient – en cours de route? – perdu leur raison d’être. D’autres éléments sont ajoutés.
L’une des plus importantes variantes que le Coran amène est la négation du temps de l’histoire, un temps fortement présent dans la Genèse. Si la création d’Adam et d’Ève marque un début incontestable de l’humanité de l’homme (et non nécessairement d’homo sapiens!), le texte du Coran ne trouve nulle part de raison valable pour rattacher une date ou une hiérarchie historique quelconque à un événement lié aux histoires humaines, faisant ainsi disparaître sous des traits génériques, l’événementialité historique et géographique de l’humanité. Reste l’humanité forcément présente, à laquelle il s’adresse : le prophète Muhammad et ceux qui l’écoutent.
L’histoire de Noé et du déluge vient affirmer cette suspension du temps historique pour ne devenir qu’une histoire exemplaire parmi d’autres. D’ailleurs, elle revient à plusieurs reprises dans le texte du Coran avec des variantes qui ne changent en rien sa signification globale.
1/ Commentaire
Dès la première phrase, on perçoit la différence. Noé est envoyé à « son » peuple. Le caractère cosmique, universel, du déluge biblique disparaît ici au profit d’une histoire contextuelle et limitée ; en un temps donné (qu’on ne connaît pas), un peuple donné (non identifié), reçoit un message par le biais d’un envoyé de Dieu, Noé lui-même. Ce dernier ne trouve donc pas grâce a posteriori. Dieu sait qu’il ne sauvera que Noé et quelques membres de son groupe à l’exclusion du reste du peuple concerné. Pour le Coran, c’est là une constante de la nature humaine : Dieu envoie un messager à un peuple, il est rejeté, tué ou banni, certains – souvent les plus faibles et les plus déshérités le suivent – alors que les autres persistent dans l’erreur et dans la négation.
Le point essentiel de la distinction entre le discours biblique et le discours coranique vient ici. Dieu a missionné Noé pour prévenir son peuple et lui demander de s’amender. Ceci aussi est un principe général dans le Coran : jamais Dieu ne châtie sans avoir prévenu. Jamais il ne prévient sans pardonner à ceux qui reçoivent le message et choisissent de le suivre, en se repentant et en changeant de comportement. La perspective qui semble se dégager du texte biblique, à savoir que Dieu lance le déluge sans prévenir qui que ce soit d’autre que Noé, est rendue inacceptable dans la perspective de l’éthique musulmane, la « rectification » était donc devenue nécessaire.