Benjamin Constant
De la liberté des anciens comparée à celle des modernes.
(Discours prononcé à l’Athénée royal de Paris en 1819)
2ème partie
De la liberté des anciens comparée à celle des modernes.
(Discours prononcé à l’Athénée royal de Paris en 1819)
2ème partie
J’ai dit en commençant que, faute d’avoir aperçu ces différences, des hommes bien intentionnés d’ailleurs, avaient causé des maux infinis durant notre longue et orageuse révolution. A Dieu ne plaise que je leur adresse des reproches trop sévères : leur erreur même était excusable. On ne saurait lire les belles pages de l’antiquité, l’on ne se retrace point les actions de ses grands hommes sans ressentir je ne sais quelle émotion d’un genre particulier que ne fait éprouver rien de ce qui est moderne. Les vieux éléments d’une nature antérieure, pour ainsi dire, à la nôtre, semblent se réveiller en nous à ces souvenirs. II est difficile de ne pas regretter ces temps où les facultés de l’homme se développaient dans une direction tracée d’avance, mais dans une carrière si vaste, tellement fortes de leurs propres forces, et avec un tel sentiment d’énergie et de dignité ; et lorsqu’on se livre à ces regrets, il est impossible de ne pas vouloir imiter ce qu’on regrette. Cette impression était profonde, surtout lorsque nous vivions sous des gouvernements abusifs, qui, sans être forts, étaient vexatoires, absurdes en principes, misérables en action ; gouvernements qui avaient pour ressort l’arbitraire, pour but le rapetissement de l’espèce humaine, et que certains hommes osent nous vanter encore aujourd’hui, comme si nous pouvions oublier jamais que nous avons été témoins et victimes de leur obstination, de leur impuissance et de leur renversement. Le but de nos réformateurs fut noble et généreux. Qui d’entre nous n’a pas senti son cœur battre d’espérance à l’entrée de la route qu’ils semblaient ouvrir ? Et malheur encore à présent à qui n’éprouve pas le besoin de déclarer que reconnaître quelques erreurs commises par nos premiers guides, ce n’est pas flétrir leur mémoire ni désavouer des opinions que les amis de l’humanité ont professées d’âge en âge.
Mais ces hommes avaient puisé plusieurs de leurs théories dans les ouvrages de deux philosophes qui ne s’étaient pas douté eux-mêmes des modifications apportées par deux mille ans aux dispositions du genre humain. J’examinerai peut-être une fois le système du plus illustre de ces philosophes, de Jean-Jacques Rousseau, et je montrerai qu’en transportant dans nos temps modernes une étendue de pouvoir social, de souveraineté collective qui appartenait à d’autres siècles, ce génie sublime qu’animait l’amour le plus pur de la liberté, a fourni néanmoins de funestes prétextes à plus d’un genre de tyrannie. Sans doute, en relevant ce que je considère comme une méprise importante à dévoiler, je serai circonspect dans ma réfutation, et respectueux dans mon blâme. J’éviterai, certes, de me joindre aux détracteurs d’un grand homme. Quand le hasard fait qu’en apparence je me rencontre avec eux sur un seul point, je suis en défiance de moi-même ; et, pour me consoler de paraître un instant de leur avis sur une question unique et partielle, j’ai besoin de désavouer et de flétrir autant qu’il est en moi ces prétendus auxiliaires.
Cependant, l’intérêt de la vérité doit l’emporter sur des considérations que rendent si puissantes l’éclat d’un talent prodigieux et l’autorité d’une immense renommée. Ce n’est d’ailleurs point à Rousseau, comme on le verra, que l’on doit principalement attribuer l’erreur que je vais combattre : elle appartient bien plus à l’un de ses successeurs, moins éloquent, mais non moins austère et mille fois plus exagéré. Ce dernier, l’abbé de Mably, peut être regardé comme le représentant du système qui, conformément aux maximes de la liberté antique, veut que les citoyens soient complètement assujettis pour que la nation soit souveraine, et que l’individu soit esclave pour que le peuple soit libre.
L’abbé de Mably, comme Rousseau et comme beaucoup d’autres, avait, d’après les anciens, pris l’autorité du corps social pour la liberté, et tous les moyens lui paraissaient bons pour étendre l’action de cette autorité sur cette partie récalcitrante de l’existence humaine, dont il déplorait l’indépendance.
Le regret qu’il exprime partout dans ses ouvrages, c’est que la loi ne puisse atteindre que les actions. Il aurait voulu qu’elle atteignît les pensées, les impressions les plus passagères ; qu’elle poursuivît l’homme sans relâche et sans lui laisser un asile où il pût échapper à son pouvoir. A peine apercevait-il, n’importe chez quel peuple, une mesure vexatoire, qu’il pensait avoir fait une découverte et qu’il la proposait pour modèle : il détestait la liberté individuelle comme on déteste un ennemi personnel ; et, dès qu’il rencontrait dans l’histoire une nation qui en était bien complètement privée, n’eût elle point de liberté politique, il ne pouvait s’empêcher de l’admirer. II s’extasiait sur les Égyptiens, parce que, disait-il, tout chez eux était réglé par la loi, jusqu’aux délassements, jusqu’aux besoins : tout pliait sous l’empire du législateur ; tous les moments de la journée étaient remplis par quelque devoir ; l’amour même était sujet à cette intervention respectée, et c’était la loi qui tour-à-tour ouvrait et fermait la couche nuptiale.
Ce genre de fascination, pour les Égyptiens ou pour d’autres sociétés ordonnées et hiérarchisées, existe toujours. Chaque société où la présence du sacré est généralisée vit cet état, parfois sans même en avoir conscience. L’idéal totalitaire, on ne doit pas l’oublier, participe de cette nostalgie profonde de l’ordre totalisant, dans laquelle chaque chose a une place et est à sa place et où les individus coopèrent tous pour une finalité unique, le « bonheur » de la Nation. Les Utopies, depuis celle de Thomas More, participent également de ce même fantasme du bonheur uniquement accessible dans une société bien ordonnée.
Sparte, qui réunissait des formes républicaines au même asservissement des individus, excitait dans l’esprit de ce philosophe un enthousiasme plus vif encore. Ce vaste couvent lui paraissait l’idéal d’une parfaite république. Il avait pour Athènes un profond mépris, et il aurait dit volontiers de cette nation, la première de la Grèce, ce qu’un académicien grand seigneur disait de l’Académie française: « Quel épouvantable despotisme! Tout le monde y fait ce qu’il veut ». Je dois ajouter que ce grand seigneur parlait de l’Académie telle qu’elle était il y a trente ans.
Montesquieu, doué d’un esprit plus observateur parce qu’il avait une tête moins ardente, n’est pas tombé tout-à-fait dans les mêmes erreurs. Il a été frappé des différences que j’ai rapportées : mais il n’en a pas démêlé la cause véritable. Les politiques grecs qui vivaient sous le gouvernement populaire ne reconnaissaient, dit-il, d’autre force que celle de la vertu. Ceux d’aujourd’hui ne nous parlent que de manufactures, de commerce, de finances, de richesses et de luxe même. Il attribue cette différence à la république et à la monarchie : il faut l’attribuer à l’esprit opposé des temps anciens et des temps modernes. Citoyens des républiques, sujets des monarchies, tous veulent des jouissances, et nul ne peut, dans l’état actuel des sociétés, ne pas en vouloir.
C’est à croire que les autorités politiques des différents pays démocratiques et développés ont toutes choisi de tenir compte de ce souhait de Benjamin Constant ou d’autres philosophes qui ont prôné les mêmes modes de gouvernement. Mais le fait de donner au peuple des jouissances n’exprimait-il pas déjà, à Athènes ou à Rome, un cynisme sans nom et un mépris sans bornes à l’égard du Peuple ? Il est curieux que Constant n’ait pas remarqué que l’aisance de vie pouvait également devenir une arme entre les mains de cyniques qui y verront le meilleur moyen pour occuper des populations aliénées par la consommation et par la jouissance, précisément.
Le peuple le plus attaché de nos jours à sa liberté, avant l’affranchissement de la France, était aussi le peuple le plus attaché à toutes les jouissances de la vie ; et il tenait à sa liberté surtout parce qu’il y voyait la garantie des jouissances qu’il chérissait. Autrefois, là où il y avait liberté, l’on pouvait supporter les privations : maintenant partout où il y a privations, il faut l’esclavage pour qu’on s’y résigne. Il serait plus possible aujourd’hui de faire d’un peuple d’esclaves un peuple de Spartiates, que de former des Spartiates par la liberté. Les hommes qui se trouvèrent portés par le flot des événements à la tête de notre révolution, étaient, par une suite nécessaire de l’éducation qu’ils avaient reçue, imbus des opinions antiques, et devenues fausses, qu’avaient mises en honneur les philosophes dont j’ai parlé. La métaphysique de Rousseau, au milieu de laquelle paraissaient tout-à-coup comme des éclairs des vérités sublimes et des passages d’une éloquence entraînante, l’austérité de Mably, son intolérance, sa haine contre toutes les passions humaines, son avidité de les asservir toutes, ses principes exagérés sur la compétence de la loi, la différence de ce qu’il recommandait et de ce qui avait existé, ses déclamations contre les richesses et même contre la propriété; toutes ces choses devaient charmer des hommes échauffés par une victoire récente, et qui, conquérants de la puissance légale, étaient bien aises d’étendre cette puissance sur tous les objets. C’était pour eux une autorité précieuse que celle de deux écrivains qui, désintéressés dans la question et prononçant anathème contre le despotisme des hommes, avaient rédigé en axiome le texte de la loi. Ils voulurent donc exercer la force publique comme ils avaient appris de leurs guides qu’elle avait été jadis exercée dans les états libres. Ils crurent que tout devait encore céder devant la volonté collective et que toutes les restrictions aux droits individuels seraient amplement compensées par la participation au pouvoir social.
Vous savez, Messieurs, ce qui en est résulté. Des institutions libres, appuyées sur la connaissance de l’esprit du siècle, auraient pu subsister. L’édifice renouvelé des anciens s’est écroulé, malgré beaucoup d’efforts et beaucoup d’actes héroïques qui ont droit à l’admiration. C’est que le pouvoir social blessait en tout sens l’indépendance individuelle sans en détruire le besoin. La nation ne trouvait point qu’une part idéale à une souveraineté abstraite valût les sacrifices qu’on lui commandait. On lui répétait vainement avec Rousseau : les lois de la liberté sont mille fois plus austères que n’est dur le joug des tyrans. Elle ne voulait pas de ces lois austères, et dans sa lassitude, elle croyait quelquefois que le joug des tyrans serait préférable. L’expérience est venue et l’a détrompée. Elle a vu que l’arbitraire des hommes était pire encore que les plus mauvaises lois. Mais les lois aussi doivent avoir leurs limites.
Cette notion de limite est fondamentale pour tout ce qui concerne l’être humain, ses comportements et ses institutions. Il est curieux que Constant ne l’ait pas appliquée sur ses propres idées en proposant par exemple de définir les limites de la jouissance de l’indépendance privée des individus.
Si je suis parvenu, Messieurs, à vous faire partager la conviction que dans mon opinion ces faits doivent produire, vous reconnaîtrez avec moi la vérité des principes suivants. L’indépendance individuelle est le premier besoin des modernes : en conséquence, il ne faut jamais leur en demander le sacrifice pour établir la liberté politique. Il s’ensuit qu’aucune des institutions nombreuses et trop vantées qui, dans les républiques anciennes, gênaient la liberté individuelle, n’est point admissible dans les temps modernes.
Ce point est tout à fait discutable. Les modernes n’ont en effet besoin d’indépendance que pour pouvoir à loisir se dé-saisir de cette indépendance au profit d’une appartenance, pourvu que cette dernière ne leur soit pas dictée par les autorités. Les modernes n’ont aucune raison d’être différents des anciens dans leur tendance naturelle vers la grégarité et la tribalité. La différence serait peut-être uniquement due au fait que, fondamentalement, la modernité a désacralisé le pouvoir politique et les individus qui le possèdent. Mais une telle désacralisation s’est malheureusement avérée à double-tranchant : certes le politique est désacralisé pour le plus grand bien des peuples qui n’ont plus aucune raison d’obéir aveuglément aux autorités divinisées qui les gouvernent, mais – en même temps – une chose désacralisée perd vite de son intérêt. La chose politique, au lieu d’être considérée comme une activité noble et digne de l’intérêt de tous, devient de plus en plus une affaire privée entre les mains de groupes d’intérêt ou d’individus avides de pouvoir.
Cette vérité, Messieurs, semble d’abord superflue à établir. Plusieurs gouvernements de nos jours ne paraissent guères enclins à imiter les républiques de l’antiquité. Cependant quelque peu de goût qu’ils aient pour les institutions républicaines, il y a de certains usages républicains pour lesquels ils éprouvent je ne sais quelle affection. Il est fâcheux que ce soit précisément celles qui permettent de bannir, d’exiler, de dépouiller. Je me souviens qu’en 1802, on glissa dans une loi sur les tribunaux spéciaux un article qui introduisait en France l’ostracisme grec; et Dieu sait combien d’éloquents orateurs, pour faire admettre cet article, qui cependant fut retiré, nous parlèrent de la liberté d’Athènes, et de tous les sacrifices que les individus devaient faire pour conserver cette liberté!
Il y a quelque chose de paradoxal et de passablement inquiétant dans l’idée qu’il faille faire des sacrifices pour obtenir la liberté. Si l’on prend en considération le sacrifice maximal, la mort, le paradoxe devient évident et il est dès lors possible de le comparer avec l’idée de Camus que le seul acte vraiment libre est le suicide. En revanche, il est plus aisé de comprendre le sacrifice si c’est la liberté d’un autre qui est en jeu. On comprend alors que la notion de la lutte pour la liberté devienne elle-même équivoque sur un plan politique. La lutte individuelle pour la liberté ne peut être que la lutte d’un individu pour sa propre liberté ou celle d’un autre, considéré en tant qu’individu. Mais que devient alors la liberté politique ?
De même, à une époque bien plus récente, lorsque des autorités craintives essayaient d’une main timide de diriger les élections à leur gré, un journal qui n’est pourtant point entaché de républicanisme, proposa de faire revivre la censure romaine pour écarter les candidats dangereux.
Je crois donc ne pas m’engager dans une digression inutile, si, pour appuyer mon assertion, je dis quelques mots de ces deux institutions si vantées. L’ostracisme d’Athènes reposait sur l’hypothèse que la société a toute autorité sur ses membres. Dans cette hypothèse, il pouvait se justifier, et dans un petit état, où l’influence d’un individu fort de son crédit, de sa clientèle, de sa gloire, balançait souvent la puissance de la masse, l’ostracisme pouvait avoir une apparence d’utilité. Mais parmi nous, les individus ont des droits que la société doit respecter, et l’influence individuelle est, comme je l’ai déjà observé, tellement perdue dans une multitude d’influences égales ou supérieures, que toute vexation, motivée sur la nécessité de diminuer cette influence, est inutile et par conséquent injuste. Nul n’a le droit d’exiler un citoyen, s’il n’est pas condamné légalement par un tribunal régulier, d’après une loi formelle qui attache la peine de l’exil à l’action dont il est coupable. Nul n’a le droit d’arracher le citoyen à sa patrie, le propriétaire à ses biens, le négociant à son commerce, l’époux à son épouse, le père à ses enfants, l’écrivain à ses méditations studieuses, le vieillard à ses habitudes. Tout exil politique est un attentat politique. Tout exil prononcé par une assemblée pour de prétendus motifs de salut public, est un crime de cette assemblée contre le salut public qui n’est jamais que dans le respect des lois, dans l’observance des formes, et dans le maintien des garanties.
La censure romaine supposait comme l’ostracisme un pouvoir discrétionnaire. Dans une république dont tous les citoyens, maintenus par la pauvreté dans une simplicité extrême de mœurs, habitaient la même ville, n’exerçaient aucune profession qui détournât leur attention des affaires de l’État, et se trouvaient ainsi constamment spectateurs et juges de l’usage du pouvoir public, la censure pouvait d’une part avoir plus d’influence ; et de l’autre, l’arbitraire des censeurs était contenu par une espèce de surveillance morale exercée contre eux.
On trouve ici la distinction essentielle entre le pouvoir politique tel qu’il était vu par les Anciens et celui des Modernes. En effet, dans la fascination du politique nouvellement découvert, les grecs et les romains ont cependant maintenu la notion d’un pouvoir discrétionnaire, soumis à un arbitraire dont il était impossible de se défaire, ne serait-ce que parce que la fierté d’appartenir à la Cité incitait à qualifier les « bons citoyens » et les « mauvais citoyens », alors qu’il n’y avait pas de « bon État » et de « mauvais État », face auxquels les citoyens auraient eu, individuellement, le droit de réagir. Les États démocratiques modernes ont tenus à introduire un tel principe (de droits et obligations réciproques, entre le citoyen et l’État), même si, souvent, ce principe demeure un vœu pieux. Et la chose est compréhensible : devant la machinerie de l’État et devant le pouvoir qu’il possède, il est difficile qu’il ne soit pas vu au moins par certains comme possédant aussi une part de sacré. Dès lors, le citoyen moyen se dira qu’il vaut mieux se soumettre, accepter d’en faire partie, et obéir. La démocratie, dans ce cas, est un puissant outil pour atténuer les révoltes populaires, non parce qu’elle rend justice aux citoyens mais parce qu’elle se manifeste à eux comme une immense machinerie aveugle à laquelle, en plus, ils ont librement choisi d’adhérer.
Mais aussitôt que l’étendue de la république, la complication des relations sociales et les raffinements de la civilisation, eurent enlevé à cette institution ce qui lui servait à la fois de base et de limite, la censure dégénéra même à Rome. Ce n’était donc pas la censure qui avait créé les bonnes mœurs ; c’était la simplicité des mœurs qui constituait la puissance et l’efficacité de la censure.
En France, une institution aussi arbitraire que la censure serait à la fois inefficace et intolérable : dans l’état présent de la société, les mœurs se composent de nuances fines, ondoyantes, insaisissables, qui se dénatureraient de mille manières, si l’on tentait de leur donner plus de précision. L’opinion seule peut les atteindre ; elle seule peut les juger, parce qu’elle est de même nature. Elle se soulèverait contre toute autorité positive qui voudrait lui donner plus de précision. Si le gouvernement d’un peuple moderne voulait, comme les censeurs de Rome, flétrir un citoyen par une décision discrétionnaire, la nation entière réclamerait contre cet arrêt en ne ratifiant pas les décisions de l’autorité.
Soit Benjamin Constant réagit ici avec candeur, soit il n’a pas expérimenté la puissance du lynchage collectif. Mais il avait sans doute une très bonne opinion…de l’opinion et considérait le peuple comme un groupe d’individualités citoyennes éveillées et attentives à la moindre injustice commise par l’État. A ce niveau – et malgré ses critiques répétées – il rejoint Rousseau dans l’idée que la volonté générale ne se trompe jamais. Mais ce dernier avait cependant bien précisé qu’on pouvait l’induire en erreur.
Ce que je viens de dire de la transplantation de la censure dans les temps modernes, s’applique à bien d’autres parties de l’organisation sociale, sur lesquelles on nous cite l’antiquité plus fréquemment encore, et avec bien plus d’emphase. Telle est l’éducation, par exemple ; que ne nous dit-on pas sur la nécessité de permettre que le gouvernement s’empare des générations naissantes pour les façonner à son gré, et de quelles citations érudites n’appuie-t-on pas cette théorie ! Les Perses, les Égyptiens, et la Gaule, et la Grèce, et l’Italie, viennent tour à tour figurer à nos regards. Eh! Messieurs, nous ne sommes ni des Perses, soumis à un despote, ni des Égyptiens subjugués par des prêtres, ni des Gaulois pouvant être sacrifiés par leurs druides, ni enfin des Grecs et des Romains que leur part à l’autorité sociale consolait de l’asservissement privé. Nous sommes des modernes, qui voulons jouir chacun de nos droits, développer chacun nos facultés comme bon nous semble, sans nuire à autrui; veiller sur le développement de ces facultés dans les enfants que le nature confie à notre affection, d’autant plus éclairée qu’elle est plus vive, et n’ayant besoin de l’autorité que pour tenir d’elle les moyens généraux d’instruction qu’elle peut rassembler, comme les voyageurs acceptent d’elle les grands chemins sans être dirigés par elle dans la route qu’ils veulent suivre.
L’un des premiers postulats du projet des Lumières – et du projet libéral qui en fait partie – est réfuté à partir d’ici. Car la liberté individuelle et surtout la liberté personnelle que réclame Constant n’existent pas naturellement chez l’être humain. Nous ne sommes pas nés libres, nous le devenons au travers de l’éducation. Mais contrairement à cette éducation que Benjamin Constant critique avec raison car elle a pour fonction d’éduquer la jeunesse à se conformer aux souhaits de la société, la véritable éducation serait celle qui apprendrait à chacun justement comment affirmer ses propres jugements face à une société par définition réductrice des individualités en un moule unique. Le pari de l’éducation aurait dû être d’apprendre à chacun à voler de ses propres ailes. Mais, comme on partait de l’idée que la liberté est une faculté innée, c’est la « liberté d’éduquer » et non « éduquer à la liberté » qui a fait partie du programme libéral…jusqu’à aujourd’hui.
La religion aussi est exposée à ces souvenirs des autres siècles. De braves défenseurs de l’unité de doctrine nous citent les lois des anciens contre les dieux étrangers, et appuient les droits de l’église catholique de l’exemple des Athéniens qui firent périr Socrate pour avoir ébranlé le polythéisme, et de celui d’Auguste qui voulait qu’on restât fidèle au culte de ses pères, ce qui fit que, peu de temps après, on livra aux bêtes les premiers chrétiens.
Défions-nous donc, Messieurs, de cette admiration pour certaines réminiscences antiques. Puisque nous vivons dans les temps modernes je veux la liberté convenable aux temps modernes ; et puisque nous vivons sous des monarchies, je supplie humblement ces monarchies de ne pas emprunter aux républiques anciennes des moyens de nous opprimer.
Constant est-il de mauvaise foi ou a t’il la mémoire courte ? C’est pourtant grâce au retour à ces « valeurs antiques » que la Renaissance a cru dépasser le traditionalisme et l’étroitesse d’esprit dont on supposait qu’ils étaient les principaux traits de la pensée médiévale.
La liberté individuelle, je le répète, voilà la véritable liberté moderne. La liberté politique en est la garantie ; la liberté politique est par conséquent indispensable. Mais demander aux peuples de nos jours de sacrifier comme ceux d’autrefois la totalité de leur liberté individuelle à la liberté politique, c’est le plus sûr moyen de les détacher de l’une et quand on y serait parvenu, on ne tarderait pas à leur ravir l’autre.
Benjamin Constant a l’air de penser qu’il est possible de garantir à la fois la liberté individuelle et la liberté politique. Malgré ses études poussées dans l’histoire des religions, y compris des monothéismes, il ne semble pas avoir remarqué que l’on ne trouve nulle part une puissance politique dédiée au service de la personne humaine singulière et universelle.
Vous voyez, Messieurs, que mes observations ne tendent nullement à diminuer le prix de la liberté politique. Je ne tire point des faits que j’ai remis sous vos yeux les conséquences que quelques hommes en tirent. De ce que les anciens ont été libres, et de ce que nous ne pouvons plus être libres comme les anciens, ils en concluent que nous sommes destinés à être esclaves. Ils voudraient constituer le nouvel état social avec un petit nombre d’éléments qu’ils disent seuls appropriés à la situation du monde actuel. Ces éléments sont des préjugés pour effrayer les hommes, de l’égoïsme pour les corrompre, de la frivolité pour les étourdir, des plaisirs grossiers pour les dégrader, du despotisme pour les conduire ; et, il le faut bien, des connaissances positives et des sciences exactes pour servir plus adroitement le despotisme. Il serait bizarre que tel fût le résultat de quarante siècles durant lesquels l’espèce humaine a conquis plus de moyens moraux et physiques : je ne puis le penser. Je tire des différences qui nous distinguent de l’antiquité des conséquences tout opposées. Ce n’est point la garantie qu’il faut affaiblir, c’est la jouissance qu’il faut étendre. Ce n’est point à la liberté politique que je veux renoncer ; c’est la liberté civile que je réclame, avec d’autres formes de liberté politique. Les gouvernements n’ont pas plus qu’autrefois le droit de s’arroger un pouvoir illégitime. Mais les gouvernements qui partent d’une source légitime ont de moins qu’autrefois le droit d’exercer sur les individus une suprématie arbitraire. Nous possédons encore aujourd’hui les droits que nous eûmes de tout temps, ces droits éternels à consentir les lois, à délibérer sur nos intérêts, à être partie intégrante du corps social dont nous sommes membres. Mais les gouvernements ont de nouveaux devoirs ; les progrès de la civilisation, les changements opérés par les siècles, commandent à l’autorité plus de respect pour les habitudes, pour les affections, pour l’indépendance des individus. Elle doit porter sur tous ces objets une main plus prudente et plus légère.
Cette réserve de l’autorité, qui est dans ses devoirs stricts, est également dans ses intérêts bien entendus ; car si la liberté qui convient aux modernes est différente de celle qui convenait aux anciens, le despotisme qui était possible chez les anciens n’est plus possible chez les modernes. De ce que nous sommes souvent plus distraits de la liberté politique qu’ils ne pouvaient l’être, et dans notre état ordinaire moins passionnés pour elle, il peut s’ensuivre que nous négligions quelquefois trop, et toujours à tort, les garanties qu’elle nous assure; mais en même temps, comme nous tenons beaucoup plus à la liberté individuelle que les anciens, nous la défendrons, si elle est attaquée, avec beaucoup plus d’adresse et de persistance; et nous avons pour la défendre des moyens que les anciens n’avaient pas.
Le commerce rend l’action de l’arbitraire sur notre existence plus vexatoire qu’autrefois, parce que nos spéculations étant plus variées, l’arbitraire doit se multiplier pour les atteindre ; mais le commerce rend aussi l’action de l’arbitraire plus facile à éluder, parce qu’il change la nature de la propriété, qui devient par ce changement presque insaisissable.
Le commerce donne à la propriété une qualité nouvelle, la circulation : sans circulation, la propriété n’est qu’un usufruit ; l’autorité peut toujours influer sur l’usufruit, car elle peut enlever la jouissance ; mais la circulation met un obstacle invisible et invincible à cette action du pouvoir social.
Voir « Une brève histoire de la propriété »
Les effets du commerce s’étendent encore plus loin : non seulement il affranchit les individus, mais, en créant le crédit, il rend l’autorité dépendante.
L’argent, dit un auteur français, est l’arme la plus dangereuse du despotisme, mais il est en même temps son frein le plus puissant ; le crédit est soumis à l’opinion ; la force est inutile ; l’argent se cache ou s’enfuit; toutes les opérations de l’État sont suspendues. Le crédit n’avait pas la même influence chez les anciens ; leurs gouvernements étaient plus forts que les particuliers.
Effectivement, on sait que l’État, dans la Grèce antique n’est jamais débiteur. « Involvement (of the state) as debtor was virtually impossible, for public loans were the exception throughout greek history and completely unknown in Athens » dit Moses I. Finley, in Studies in land and credit in ancient Athens 500-200BC – Transaction Books, 1985.
Les particuliers sont plus forts que les pouvoirs politiques de nos jours; la richesse est une puissance plus disponible dans tous les instants, plus applicable à tous les intérêts, et par conséquent bien plus réelle et mieux obéie; le pouvoir menace, la richesse récompense: on échappe au pouvoir en le trompant; pour obtenir les faveurs de la richesse, il faut la servir: celle-ci doit l’emporter.
Par une suite des mêmes causes, l’existence individuelle est moins englobée dans l’existence politique. Les individus transplantent au loin leurs trésors; ils portent avec eux toutes les jouissances de la vie privée; le commerce a rapproché les nations, et leur a donné des mœurs et des habitudes à peu près pareilles: les chefs peuvent être ennemis; les peuples sont compatriotes.
Ce paragraphe, dans sa totalité, peut paraître d’une extraordinaire actualité…sachant que la véritable mondialisation économique (financière et commerciale) ne commence qu’au cours du 19ème siècle. Constant se trompe uniquement sur la notion de « peuples compatriotes » n’ayant pu mesurer le poids des appartenances nationales dans les haines entre les peuples. Il est vrai que Stefan Zweig a eu la plus grande difficulté à admettre une telle haine collective généralisée au cours du 20ème siècle, pour les mêmes raisons.
Que le pouvoir s’y résigne donc; il nous faut de la liberté, et nous l’aurons; mais comme la liberté qu’il nous faut est différente de celle des anciens, il faut à cette liberté une autre organisation que celle qui pourrait convenir à la liberté antique; dans celle-ci, plus l’homme consacrait de temps et de force à l’exercice de ses droits politiques, plus il se croyait libre; dans l’espèce de liberté dont nous sommes susceptibles, plus l’exercice de nos droits politiques nous laissera de temps pour nos intérêts privés, plus la liberté nous sera précieuse.
Il peut paraître étrange que Constant n’ait pas réalisé à quel point le détachement des citoyens-consommateurs à l’égard du fonctionnement politique de leur pays pouvait être dangereux. En fait, ce qu’il souhaite faire c’est pousser jusqu’au bout l’argument du détachement à l’égard du politique afin de pouvoir – dans les pages qui suivent – défendre les systèmes représentatifs. L’argument est donc totalement rhétorique.
De là vient, Messieurs, la nécessité du système représentatif. Le système représentatif n’est autre chose qu’une organisation à l’aide de laquelle une nation se décharge sur quelques individus de ce qu’elle ne peut ou ne veut pas faire elle-même. Les individus pauvres font eux-mêmes leurs affaires : les hommes riches prennent des intendants. C’est l’histoire des nations anciennes et des nations modernes. Le système représentatif est une procuration donnée à un certain nombre d’hommes par la masse du peuple, qui veut que ses intérêts soient défendus, et qui néanmoins n’a pas le temps de les défendre toujours lui-même.
Il est curieux de remarquer que malgré son insistance sur la responsabilité morale des citoyens, Constant ne parle ici que de leurs intérêts. Il ne semble pas avoir jamais remarqué que l’intérêt profondément égoïste des uns peut devenir une flagrante injustice pour les autres. Sa foi en l’homme, individu libre et responsable, lui fait accepter l’unique défense des intérêts comme raison d’être du politique, au lieu d’autres idéaux, tels que la recherche de la justice ou l’obéissance à des principes d’intérêt universel. La notion extensible d’ »intérêt » devait vite se transformer en valeur matérialiste de consommation quantitativement évaluée…et par suite ouverte à l’infini.
Mais à moins d’être insensés, les hommes riches qui ont des intendants examinent avec attention et sévérité si ces intendants font leur devoir, s’ils ne sont ni négligents ni corruptibles, ni incapables ; et pour juger de la gestion de ces mandataires, les commettants qui ont de la prudence se mettent bien au fait des affaires dont ils leur confient l’administration. De même, les peuples qui, dans le but de jouir de la liberté qui leur convient, recourent au système représentatif, doivent exercer une surveillance active et constante sur leurs représentants, et se réserver, à des époques qui ne soient pas séparées par de trop longs intervalles, le droit de les écarter s’ils ont trompé leurs vœux, et de révoquer les pouvoirs dont ils auraient abusé.
Car, de ce que la liberté moderne diffère de la liberté antique, il s’ensuit qu’elle est aussi menacée d’un danger d’espèce différente.
Le danger de la liberté antique était qu’attentifs uniquement à s’assurer le partage du pouvoir social, les hommes ne fissent trop bon marché des droits et des jouissances individuelles.
Le danger de la liberté moderne, c’est qu’absorbés dans la jouissance de notre indépendance privée, et dans la poursuite de nos intérêts particuliers, nous ne renoncions trop facilement à notre droit de partage dans le pouvoir politique.
Les dépositaires de l’autorité ne manquent pas de nous y exhorter. Ils sont si disposés à nous épargner toute espèce de peine, excepté celle d’obéir et de payer ! Ils nous diront : Quel est au fond le but de vos efforts, le motif de vos travaux, l’objet de toutes vos espérances ? N’est-ce-pas le bonheur ? Eh bien, ce bonheur, laissez-nous faire, et nous vous le donnerons. Non, Messieurs, ne laissons pas faire ; quelque touchant que ce soit un intérêt si tendre, prions l’autorité de rester dans ses limites ; qu’elle se borne à être juste. Nous nous chargerons d’être heureux.
Pourrions-nous l’être par des jouissances, si ces jouissances étaient séparées des garanties ? Et où trouverions-nous ces garanties, si nous renoncions à la liberté politique ? Y renoncer, Messieurs, serait une démence semblable à celle d’un homme qui, sous prétexte qu’il n’habite qu’un premier étage, prétendrait bâtir sur le sable un édifice sans fondements.
D’ailleurs, Messieurs, est-il donc si vrai que le bonheur, de quelque genre qu’il puisse être, soit le but unique de l’espèce humaine? En ce cas, notre carrière serait bien étroite et notre destination bien peu relevée. Il n’ est pas un de nous qui, s’il voulait descendre, restreindre ses facultés morales, rabaisser ses désirs, abjurer l’activité, la gloire, les émotions généreuses et profondes, ne pût s’abrutir et être heureux, Non, Messieurs, j’en atteste cette partie meilleure de notre nature, cette noble inquiétude qui nous poursuit et qui nous tourmente, cette ardeur d’étendre nos lumières et de développer nos facultés; ce n’est pas au bonheur seul, c’est au perfectionnement que notre destin nous appelle; et la liberté politique est le plus puissant, le plus énergique moyen de perfectionnement que le ciel nous ait donné.
A méditer. Cette confiance dans le politique en tant que principal moteur du perfectionnement humain émane de l’élan d’optimisme qui sévit en Europe concernant les valeurs issues des Lumières. L’autre moteur de perfectionnement, l’éthique, semble provisoirement mis de côté, comme s’il était difficile de lui trouver une place dans l’enthousiasme collectif et individuel à l’égard du progrès politique.
La liberté politique soumettant à tous les citoyens, sans exception, l’examen et l’étude de leurs intérêts les plus sacrés, agrandit leur esprit, anoblit leurs pensées, établit, entre eux tous une sorte d’égalité intellectuelle qui fait la gloire et la puissance d’un peuple. Aussi, voyez comme une nation grandit à la première institution qui lui rend l’exercice régulier de la liberté politique. Voyez nos concitoyens de toutes les classes, de toutes les professions, sortant de la sphère de leurs travaux habituels et de leur industrie privée, se trouver soudain au niveau des fonctions importantes que la constitution leur confie, choisir avec discernement, résister avec énergie, déconcerter la ruse, braver la menace, résister noblement à la séduction. Voyez le patriotisme pur, profond et sincère, triomphant dans nos villes et vivifiant jusqu’à nos hameaux, traversant nos ateliers, ranimant nos campagnes, pénétrant du sentiment de nos droits et de la nécessité des garanties l’esprit juste et droit du cultivateur utile et du négociant industrieux, qui, savants dans l’histoire des maux qu’ils ont subis, et non moins éclairés sur les remèdes qu’exigent ces maux, embrassent d’un regard la France entière, et, dispensateurs de la reconnaissance nationale, récompensent par leurs suffrages, après trente années, la fidélité aux principes dans la personne du plus illustre des défenseurs de la liberté. [Monsieur de Lafayette, nommé député par la Sarthe].
Dans le journal de Jules Renard, à la date du 29/5/1899, on trouve la remarque suivante : « Au fond de tout patriotisme il y a la guerre : c’est pourquoi je ne suis point patriote ». En quelques décennies, les perspectives ont bien changé…. à moins que ce ne soit la signification des mots ! Aujourd’hui, le patriotisme est privilégié sur le nationalisme, considéré comme facteur de conflit.
Loin donc, Messieurs, de renoncer à aucune des deux espèces de liberté dont je vous ai parlé, il faut, je l’ai démontré, apprendre à les combiner l’une avec l’autre.
Essentiel, mais jusqu’à quel point est-ce réaliste ?
Les institutions, comme le dit le célèbre auteur de l’Histoire des républiques du moyen âge [Sismonde de Sismondi], doivent accomplir les destinées de l’espèce humaine ; elles atteignent d’autant mieux leur but qu’elles élèvent le plus grand nombre possible de citoyens à la plus haute dignité morale.
Où cela a t’il dérapé ? Et pour quelle raison ?
L’œuvre du législateur n’est point complète quand il a seulement rendu le peuple tranquille. Lors même que ce peuple est content, il reste encore beaucoup à faire. Il faut que les institutions achèvent l’éducation morale des citoyens.
Benjamin Constant insiste beaucoup sur l’éducation et à juste titre. Il est fascinant de voir aujourd’hui que cette question essentielle semble particulièrement absente des débats politiques, y compris des débats concernant la politique de l’éducation où parents et enseignants se renvoient la responsabilité de l’incivilité des enfants. Sur un plan plus large, la géopolitique, qui ne voit dans les conflits planétaires que des rapports de force stratégiques, élude totalement la question de l’amélioration du sort des peuples (et de leurs relations entre eux) par le biais de l’éducation. Il est probable que l’éducation en tant que priorité citoyenne et mondiale soit considérée trop extérieure à la grille du savoir scientifique (objectif !) dont se réclament les géopoliticiens pour qu’ils puissent lui trouver une place dans leurs discours.
En respectant leurs droits individuels, en ménageant leur indépendance, en ne troublant point leurs occupations, elles doivent pourtant consacrer leur influence sur la chose publique, les appeler à concourir, par leurs déterminations et par leurs suffrages, à l’exercice du pouvoir, leur garantir un droit de contrôle et de surveillance par la manifestation de leurs opinions, et les formant de la sorte par la pratique à ces fonctions élevées, leur donner à la fois et le désir et la faculté de s’en acquitter.
1/ Commentaire
Il ne s’agit pas d’une confusion, comme le donnerait à croire Constant. La liberté politique – celle de la cité – existe bel et bien, mais il s’agit d’une autre forme de liberté. Il reste à savoir si la liberté individuelle et la liberté politique peuvent être compatibles entre elles. En donnant à penser que Rousseau ou l’Abbé de Mably confondent entre « autorité du corps social » et « liberté », Constant se facilite la tâche. Pour lui, il n’existe donc qu’une seule liberté réelle, la liberté individuelle, au sein d’un système politique dont la principale raison d’être est d’aider cette liberté individuelle à s’épanouir.